Causes et effets des migrations contraintes : propositions altermondialistes. Comm. migrations ATTAC

dimanche 11 novembre 2018
par  Amitié entre les peuples
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Causes et effets des migrations contraintes : propositions altermondialistes

Pourquoi les exilé-es auxquels l’Europe ferme ses frontières ? Pourquoi l’hécatombe de migrant-es en Méditerranée ? Pourquoi en France même rejets et expulsions ?

La Commission migrations d’ATTAC tente des réponses par référence au droit international certes, mais surtout par une analyse de la situation économique et politique mondiale. Des réponses à discuter à l’UESCR à Grenoble (www.ue2018.org).

Causes et effets des migrations contraintes aujourd’hui : propositions altermondialistes

(Université d’été solidaire et rebelle des mouvements sociaux et citoyens : UESCR – Grenoble– www.ue2018.org – atelier du 23 août 2018)

L’Histoire : dépasser la dénonciation du présent suppose de prendre en compte le sens de l’évolution dans lequel ce présent se situe. Les mouvements migratoires ont existé de tout temps mais les causes qui les ont provoquées ou justifiées ont été très variables et différenciées selon les époques. La première question à se poser est de discerner ce qui fait l’originalité et la particularité des mouvements migratoires d’aujourd’hui et d’en tirer les conséquences pour notre action politique. Il semble possible de distinguer quatre spécificités.

Première spécificité : un monde en mutation exponentielle ces cinquante dernières années, en nette rupture avec l’évolution des siècles précédents

Quelques indicateurs pour l’illustrer :

- Une explosion démographique mondiale : la population a été multipliée par 2.4 entre 1961 et 2014 (passant de 2.9 Mds de terriens à 7.38 aujourd’hui) ; l’espérance de vie moyenne a crû de 14 ans, et bien que le nombre d’enfants par femme soit passé en moyenne de 5 à 2.5 sur cette période, la population mondiale pourrait être encore multipliée par 1.5 d’ici 2050, atteignant 10.8 Mds de terriens si le taux de fécondité se maintient au niveau moyen actuel, avec une forte disparité selon les continents et les pays (source ONU).
- Une modification en profondeur des modes de production et de consommation : ainsi par exemple, sur la même période, la production de céréales a été multipliée par 3.8, celle de l’élevage par 3.5, celle de la pèche par 4.9, celle de ciments par 12.8 en lien avec une urbanisation galopante.
- Un mode vie fondé sur la croissance économique qui entraine une surexploitation de l’environnement, interdisant à l’ensemble de l’humanité d’accéder à des conditions de vie analogues à celles des pays du Nord aujourd’hui (très forte discrimination).

Dans ce contexte, les mobilités de personnes dans le monde ont atteint un niveau sans précédent : 258 Mio de déplacements internationaux (population résidant ailleurs que dans son pays de naissance, 3.4% de la population mondiale) ; une variété accrue de motifs de ces déplacements, temporaires ou durables (professionnels, étudiants, saisonniers, expatriés, réfugiés…), sans compter les déplacements touristiques (1 322 Mio, 17.5%) et les migrations sous mandat HCR, les migrations internes pour le travail (ex : Chine). Derrière ces flux, se trouve la main, invisible ou perceptible, d’une organisation du monde que structure, encourage, crée le système économique néolibéral. En croissance continue, ces mobilités dessinent « les grandes lignes de partage du monde, là où les écarts de richesse, de niveaux de vie, de profils démographiques, de régimes politiques sont les plus criants » (C.Vithol de Wenden).
Mais à qui ces évolutions massives profitent-elles ? Que recouvre dans ce cadre le terme « migration » employé de façon générique alors qu’il convient de distinguer fortement les déplacements dits « circulants » (déplacements délibérés) des « migrations contraintes » (subies par l’exil dans la recherche d’un refuge) ?

Prenons acte des changements que provoque la globalisation du monde, dont les raisons sont essentiellement économiques et financières, mais de manière critique : on reviendra dans le forum sur les politiques de l’UE à cet égard, et sur les « Pactes pour les migrations » en négociations à l’ONU.

Dans cette UESCR, il s’agit de concentrer l’attention sur  :

- les causes socio-économiques des « migrations contraintes », avec les discriminations qu’elles entrainent
- les voies et moyens d’une « alter politique » à promouvoir à cet égard.

Deuxième spécificité : la question des migrations contraintes est devenue une cause humanitaire et politique mondialisée

L’entrée de l’humanité dans l’anthropocène, âge géologique et écologique qui remonte en gros à l’industrialisation et à son contrôle par le capitalisme, a eu un impact décisif sur la forme et sur la nature des mouvements migratoires. Le développement économique centré sur la seule accumulation du capital provoque de multiples formes de domination. Elles vont se succéder et s’accumuler au bénéfice d’une fraction de plus en plus réduite de la population, le « 1% » d’aujourd’hui. Elles débouchent sur le tournant historique dans lequel nous sommes lourdement impliqués : extractivisme, productivisme et consommation addictive dans une course effrénée à la croissance strictement économique et au profit purement financier ; endettement public et privé provoquant les plans d’austérité et les politiques d’ajustement structurel imposés aux PED et aux pays de l’UE telle la Grèce ; militarisation à outrance en vue de la domination du monde par multinationales et grandes banques ; exploitation des « ressources » humaines et pillage des ressources naturelles au profit des pays riches et au détriment d’un environnement de plus en plus dégradé, etc.

La complicité des élites politiques dans le maintien de l’ordre capitaliste et la domination de l’idéologie néolibérale sur le processus de la mondialisation ont pour conséquence le repli des pays du nord sur leurs frontières nationales, la fermeture de ces dernières à l’égard des plus pauvres et leur externalisation dans les pays du sud, le conditionnement xénophobe des populations à l’égard de celles et ceux qui sont contraints de fuir des situations de guerre ou les conditions d’une précarité de plus en plus patente. Il s’agit là d’une forme de néocolonialisme et de racisme qui ne dit pas son nom. Pourtant, de la DUDH (1948) aux propositions Kofi Annan de gouvernance mondiale (2004), l’élargis-sement du droit à la mobilité tend à être reconnu comme « droit humain fondamental du XXIe siècle ».

Or d’une part ces flux migratoires contraints butent de plus en plus sur d’authentiques crimes contre l’humanité, dont les Etats sont complices quand ils n’en sont pas les instigateurs par délégation, faisant ainsi de la question migratoire une cause humanitaire mondialisée touchant simultanément l’Europe, l’Afrique, l’Amérique et l’Asie.

D’autre part ce qui cause ces migrations contraintes contemporaines en fait une question politique centrale pour l’humanité, dont les enjeux, la signification et les implications complexes sont encore mal perçus comme telle.

Troisième spécificité : la dégradation du système politique, économique et environnemental planétaire que génère le grand capital va accentuer et aggraver la question migratoire.

Tout donne à penser que les migrations de la phase historique actuelle vont se poursuivre et s’accentuer. À la faveur des régimes de droite nationale dans l’UE ou de l’équipe Trump aux USA, on assiste à la poursuite du pillage des ressources dans l’échange inégal et asymétrique entre pays du Nord et pays du Sud, à des guerres commerciales et financières, à des affrontements militaro-sécuritaires par délégation à d’autres, à des conflits écologiques pour l’accès aux ressources de base (l’eau, la terre arable), à des pollutions et des dégradations climatiques sans précédents, etc.
De là l’accroissement des conflits locaux, politiques ou militaires, dont le phénomène migratoire est à la fois l’enjeu, le révélateur et la conséquence.

Les migrations environnementales notamment vont exploser, même si elles s’effectuent à 90% dans des pays voisins de ceux de départ au sud, déstabilisant les pays d’arrivée et par ricochet les pays du nord. La « crise politique » d’une UE au bord de l’implosion, la déstabilisation des pays du Sud par les politiques de financement de hotspots pour un tri externalisé des migrants, la dislocation des tissus sociaux locaux par des régimes dictatoriaux en illustreront les effets.

Quatrième spécificité : la « solution » à la question des migrations contraintes contemporaine passe par dépassement du système néocolonial d’exploitation de l’homme et de son environnement

Comprises actuellement comme un simple méfait collatéral de la mondialisation néolibérale, les migrations contraintes apparaissent plus en plus comme le « révélateur » de la nécessité du dépassement du système d’exploitation capitaliste. Libérées des contraintes que leur impose ce système, la circulation migratoire pourra devenir un facteur de liberté pour tous et non pour quelques uns : liberté de circuler, d’aller et revenir, de s’installer ailleurs et de chercher à s’y intégrer. Etant au centre du fonctionnement social et économique de la société altermondialiste à définir et à cons-truire, cette liberté doit être adossée à des valeurs de solidarité, à des pratiques d’accueil et d’insertion, à des modali-tés d’intégration socio-économique, bref à une politique d’inclusion opposée à celle d’exclusion discriminatoire menée par l’UE et ses Etats (« les migrants sont une partie de la solution, pas du problème » disait Kofi Annan en 2004).

Entre autres règles de vie collective, les principes en seront :

- la coopération plutôt que la concurrence,
- le dialogue au-delà de l’oukase autoritaire,
- la mutualisation des biens en lieu et place de l’appropriation privative et de l’accumulation sans limites.
Pensée ainsi, la « solution » de la prétendue « crise migratoire » offrira des dispositions pour une société alternative :

- la proposition d’autres institutions nationales que celles des Etats régaliens ; les modalités d’une démocratie internationale d’ordre participatif (et non d’une « gouvernance mondiale » technocratique qui impose les intérêts et règles du Nord aux besoins et traditions du Sud ; la mise en œuvre réelle de conventions internationales sur les droits fondamentaux ; la promotion d’outils de démocratie locale, populaire et directe, etc.
- la signature d’accords de développement basés sur le refus des inégalités et du contrôle par la dette, avec l’assurance concertée d’avantages réciproques avérés pour les parties négociantes
- la mise en place de « communs » partout où c’est possible, ici et maintenant, en tant qu’outils d’émancipation de la sujétion aux marchés
la relance d’un mouvement pour la paix, contre la militarisation des économies nationales et le commerce des armes
- la reconnaissance effective de la diversité culturelle sous toutes ses formes contre les velléités de replis identitaires
- le renoncement aux pratiques productivistes et extractivistes animées par le capitalisme néo-libéral pour réguler l’action des êtres humains sur leur environnement, notamment dans les domaines de l’agriculture, de la santé, de la production d’énergies, de l’aménagement du territoire et l’urbanisme, à l’écart de toute marchandisation et de toute financiarisation de l’économie…
la reconnaissance, par la prise de contrôle de la finance, d’autres priorités que celles qu’imposent au monde « les marchés », etc.
Chaque passage de migrants aux frontières peut être l’occasion de mettre le doigt sur l’un ou l’autre de ces points qui concernent tant les pays de départ et de transit que d’arrivée et d’accueil ; et d’en faire des leviers d’action pour amorcer une contre-société altermondialiste.

Au-delà de la dénonciation de l’inacceptable, il s’agit maintenant de se doter des outils opératoires d’une stratégie de substitution politique progressive à l’ordre existant.

Conclusion : La "crise des migrations forcées" est en réalité la crise d’un système économique et social insoutenable.

C’est dire qu’aujourd’hui, prendre à bras le corps la question migratoire, autant du point de vue humanitaire que du point de vue politique, c’est travailler à une société altermondialiste.

C’est choisir de ne pas laisser le péril écologique menacer l’humanité en commençant dès aujourd’hui par les populations les plus fragiles… c’est choisir de ne pas d’attendre les guerres les bras croisés mais plutôt de revivifier le mouvement pour la paix… c’est choisir d’opposer à une idéologie néolibérale destructrice une vision de la société fondée sur la solidarité, la coopération, le partage et les communs, la démocratie sociale réelle !

Alain Fabart, Claude Calame (Commission migrations, ATTAC)