Intégration comme Janus : deux faces en tension ! F Bardou
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Intégration comme Janus : deux faces en tension !
A propos du texte de Christian Delarue MRAP & ATTAC intitulé : Cultures différentes et intégration et de la conception dialectique qu’il y déploie et avec son propos d’actualisation ci-dessous (diffusé en réponse sur la liste "culture" d’ATTAC).
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Voici une réflexion très précieuse, issue d’ATTAC ! Encore une de celles que j’aimerais tant voir défendues loyalement et dans la durée par des femmes ou des hommes politiques effectivement éligibles ! Merci pour cette contribution.
Mon expérience à la fois militante, artistique et surtout professionnelle (enseignement) dans le domaine occitan, m’a depuis longtemps conduit à sortir de ma minorité pour marcher à la rencontre des autres minorités de ma ville, Toulouse. Minoritaire marchant à la rencontre d’autres minoritaires, Berbères, Arabes, Persans, Laïcs ou Religieux (mais toujours ouverts) il n’y a entre “nous” aucune condescendance. Condescendant, parmi nous, qui pourrait donc l’être ? Tous minorisés, soit par l’exil des ascendants, soit par l’expansionnisme nationalitaire (et nationaliste) français, nous instaurons des échanges culturels, créons des spectacles, des programmes de recherche communs, sans que nul n’ait besoin de s’intégrer à quoi que ce soit d’officiel, sinon à l’amitié et à la saine curiosité de chacun pour l’Autre. Nous arrivons devant une table comme pour un “repas de quartier”, nous y arrivons tous avec ce que nous sommes culturellement, au sens très large, y compris bien sûr avec nos langues et nos littératures. La francophonie joue alors un rôle assez proche de celui dévolu par ses adeptes à l’espéranto : une passerelle de simple courtoisie, et certainement pas un impératif identitaire.
Dès lors, comme montré dans cette belle intervention, l’intégration n’a plus à être la désintégration ! Chacun, dans nos rencontres, se doit d’être sa culture, de l’enrichir, de l’approfondir, de l’exprimer sainement, non comme un étendard nationalitaire, mais comme un fruit que l’on dépose ensemble dans un panier commun pour former la Cité. Et là, les influences se croisent, les origines se révèlent parfois beaucoup plus communes que distinctes. Toulouse n’est jamais autant occitane que lorsque nous réussissons ce genre de rencontres. Cette façon d’agir s’origine chez les occitanistes dans un moyen-âge peut-être plus ou moins imaginaire, certes, mais qui nous sert d’utopie fraternitaire pour aller de l’avant, avec tous ceux qui sont aujourd’hui les citoyens de la cité de Toulouse.
Pour qu’une cité, en “France” ou ailleurs, soit humaine, il lui faut toute l’humanité. Qu’un humain ou qu’un groupe humain, un seul, soit rejeté, qu’un seul soit muselé, empêché d’être lui, et la cité n’est plus humaine, ni pour autant anhumaine, (ce que serait par exemple, et à la rigueur, une tribu de singes), mais bien inhumaine. Tout cela, à ATTAC, on en est depuis longtemps convaincu.
Tolérer ne peut en rien suffire. On sait assez ce que peuvent valoir, éthiquement et psychologiquement, les “maisons de tolérance” ! Tolérer est condescendant, pour ne pas dire méprisant, et totalement inégalitaire.
Intégrer non plus ne peut suffire. En tous cas pas dans l’idée que l’on s’en fait en haut lieu dans les couloirs du pouvoir. Pour s’intégrer à la République dite “Française”, mes quatre grands parents, parlant comme leurs familles occitan, se sont vus interdits de parler leur langue, stigmatisés et punis dès que, par mégarde, ils le faisaient dans l’espace de l’école dite “publique” (mais pour quel peuple ? Pas le leur !). Une véritable propagande fut organisée par l’état français pour les convaincre que leur culture et leur langue étaient inférieures, de valeur nulle, sans histoire, sans littérature : et ce n’était là qu’un monceau de mensonges d’autant plus éhontés que soit disant républicain. L’étoffe de ces mensonges était cousue de xénophobie et tissée de totale ignorance. En France, vouloir aujourd’hui intégrer un émigré, musulman ou autre, c’est attendre de lui, qu’enfin il parle comme les Français, pense comme les Français, chante, s’habille, prie, vive, agisse et meure comme les Français. Est-ce cela l’universalité, “être comme les Français” ? La raison d’être d’une république n’est pas d’être française, mais bien d’être républicaine vis à vis de tous les citoyens qui forment la cité. Ce n’est pas la cité qui forme les citoyens, mais bien les citoyens qui forment la cité. Tous…
Le fonctionnement associatif, entre autre occitan, évoqué plus haut, propose une autre façon de s’intégrer : mettre chacun de soi à la table commune – et communale – pour prendre le repas républicain en commun. Ainsi, ce n’est plus aux migrants de s’intégrer, mais à tous les citoyens d’intégrer la vraie vie citoyenne active en marche.
Merci encore pour cette très belle réflexion.
Franc Bardou ATTAC groupe "Culture"
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Camus disait « Mal nommer les choses, c’est ajouter du mal au malheur » . Il importe donc d’apporter des précisions sur ce texte écrit il y a presque 5 ans, dans un contexte particulier.
L’intégration est loin d’être une vertu républicaine, du moins de la République telle qu’elle se développe historiquement, mais elle n’est pas nécessairement non plus le mal absolu ou en soi. Elle peut certes servir en négatif à ethniciser les problèmes, à particulariser une thématique et à culpabiliser des groupes sociaux. Mais il est tout aussi vrai, qu’elle peut servir aussi à poser les problèmes du point de vue des missions de l’Etat, et en particulier 1) de l’Etat social, de ses capacités d’insertion économique et de réelle cohésion sociale et 2) de l’Etat démocratique avec une citoyenneté élargie aux résidents.
CD